Il m'est souvent arrivé de me demander
pourquoi je ne me souviens pas de mes photographies les plus récentes:
une fois développés les négatifs ne me sont plus que les clichés d'un
autre. Pire, les supports, la matière même de mes images ne sont plus
qu'une énigme. Toutefois, j'arrive encore à distinguer les négatifs
les plus intéressants des autres. Les tirages positifs réalisés, c'est
à nouveau l'indifférence qui l'emporte.(1)
Les images doivent ensuite rester confinées dans une boîte pendant
quelques mois: vient ensuite le moment où je les découvre, je les
juge, je les détruis, je les garde, je les expose.
Tout se passe comme si ces photographies je ne les avais jamais vues,
comme s'il me manquait un instant, un très bref instant dans leur
gestation: je peux reconstituer leur création, je ne peux pas m'en
rappeler.
Cet instant existe! C'est celui où le miroir descend et masque
l'oculaire, c'est celui où l'oeil devient, pour un court moment,
aveugle. On peut alors se souvenir des raisons pour lesquelles on
était là, surtout des recherches personnelles, ce long cheminement;
mais il n'y a finalement plus que le résultat, intéressant ou
décevant, jamais l'instant décisif. C'est pour moi de cette
frustration que naît sans cesse le désir inconscient de tout
recommencer: chercher encore, tenter de découvrir ce qui ferait à coup
sûr un miracle et s'apercevoir chaque fois que l'on a tout oublié, un
bref instant, toujours le même...
1990
(1) La vérité m'oblige à dire aujourd'hui (2025) que de nombreuses photographies ont été couchées sur papier plusieurs décennies après.

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